Cher lecteur, nous allons cette fois étudier un édifice récent, afin de paraître convenable en société. Et qu’importe ce qu’en disent certains rappeurs1Loris Giuliano & GIMS en balade, https://youtu.be/8TGqWvrf84g?si=QupSWIvyFPSXbRR6&t=984., le Sacré-Cœur de Paris repose sa blancheur sur la colline de Montmartre seulement depuis la fin du XIXᵉ siècle.
Ce relativement récent édifice sacré, dont le clocher atteint les 91 mètres, domine littéralement Paris tandis que vous vous trouverez vous-même à plus de 130 mètres de hauteur, sur l’un des points culminants de la capitale. Une vue offerte à environ 11 millions de visiteurs chaque année.
Une histoire pas si vieille
Débutée après l’achèvement de l’Opéra Garnier en 1875, l’impressionnante basilique du Sacré-Cœur avait pour objectif de redonner espoir au peuple français après la défaite du pays face à l’Allemagne, dans la guerre franco-prussienne de 18702TAKEDA Yuta, L’État républicain et la Banque de France après la Guerre franco-prussienne (1870-1897) : fonctions de la banque d’émission dans la société économique moderne, Thèse de doctorat sous la direction d’Olivier Feiertag, 2018, https://theses.hal.science/tel-01976646..
La première pierre de la basilique sera posée par l’archevêque de Paris dans l’actuelle crypte de l’édifice. Lorsque vous vous y trouverez, cette pierre sera reconnaissable par sa couleur : il s’agit d’une dalle de marbre rose menant vers les restes du commanditaire de la basilique : Alexandre-Félix Legentil.
Achevée peu de temps avant la Première Guerre Mondiale, 40 ans de travaux ont été nécessaires pour aboutir à la structure que nous pouvons observer aujourd’hui.
Malgré ce que beaucoup pensent, la basilique du Sacré-Cœur ne fut pas construite pour racheter les évènements sanglants de la Commune de Paris3BENOIST Jacques, Le Sacré-Cœur de Montmartre, Paris, éditions de l’Atelier, 1992.. En 1871, une proposition de loi demandant la construction d’une église nationale fut déposée par Alexandre-Félix Legentil et son beau-frère Hubert Rohault de Fleury. Cette proposition sera validée par l’Assemblée Nationale, alors majoritairement catholique.
Cela fait de la construction du Sacré-Cœur un élan étatique démocratique, à replacer tout de même dans le contexte politique de l’époque. Le vocable proposé sera alors celui de « basilique du Vœu national au Sacré-Cœur de Jésus », une admirable impulsion collective, certes un peu longue vous devrez l’avouer.
Architecture

- Projet de Paul Abadie pour la construction du Sacré-Cœur de Montmartre, Vue perspective, 1874, © Claude Laroche (dir.), Paul Abadie, architecte. 1812-1884, Paris, éd. de la R.M.N., 1988, p. 229.
Devant l’entrée principale du Sacré-Cœur, vous êtes accueilli par deux statues équestres mettant en scène deux personnages historiques majeurs : saint Louis et Jeanne d’Arc. Réalisées en 1927, ces sculptures représentent une part symbolique de l’Histoire de France.
Saint Louis, situé du côté ouest, fut roi de France sous le nom de Louis IX pendant le XIIIᵉ siècle. Il sera canonisé en 1297 pour l’ensemble de ses actes vénérables envers le peuple et l’Église4RICHARD Jean, Saint Louis, Paris, éditions Fayard, 1983.. Il est toutefois majoritairement connu pour avoir construit la Sainte-Chapelle de Paris et pour avoir rapatrié les prétendues reliques de la Passion du Christ depuis Constantinople, ce qui n’est pas rien.
Côté est, Jeanne d’Arc lève son épée vers le ciel pour vous saluer. Grande combattante durant la Guerre de Cent ans comme tout un chacun le sait5KRUMEICH Gerd (dir.), Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, éditions Albin Michel, 1993., elle incarne l’héroïsme guidé par la foi. Son but était de libérer le Royaume et lui redonner espoir, cette mission vous rappelle-t-elle quelque chose ?
Un style orientalisant ?
Par son architecture particulière, le modèle du Sacré-Cœur de Paris s’inscrit vers l’Orient. En effet, ses cinq dômes font spécifiquement écho à l’architecture religieuse de Constantinople. Les historiens de l’art définissent d’ailleurs le style du Sacré-Cœur comme appartenant au courant romano-byzantin. Cependant, certains historiens de l’art comme François Loyer voudront davantage y reconnaitre les mosquées ottomanes plus récentes de Süleymaniye ou Yeni Camii6LOYER François, « Le Sacré-Cœur de Montmartre. L’Église souffrante et l’architecture triomphante », Le Débat, Paris, éditions Gallimard, 1987, vol. 2, n° 44, pp. 144 – 155..
Le cahier des charges imposait ce mélange d’Art roman et d’Art byzantin, déjà retenu à Marseille ou à Lyon mais de façon beaucoup plus modeste pour la basilique Notre-Dame-de-la-Garde ou à Notre-Dame de Fourvière. Son architecte Paul Abadie proposa un appel à l’orientalisme dans l’architecture de cette basilique parisienne7RICHARD-BAZIRE Anne, « Le concours pour la construction du Sacré-Cœur de Montmartre, une désillusion », Livraisons d’histoire de l’architecture, [En ligne], pp. 31-49, https://journals.openedition.org/lha/1021., rappelant évidemment les lieux de culte de l’actuelle Istanbul, successeur de l’ancienne et millénaire Constantinople.
Ainsi, la vision de Paul Abadie n’était pas byzantine comme on aurait pu le croire, mais, par beaucoup d’aspects, turque-ottomane.
Information pour rayonner en société : la pierre de la basilique du Sacré-Cœur s’auto-nettoie seule grâce à une réaction chimique avec la pluie. Cette dernière provoque alors une sécrétion de calcin autour du bloc minéral, ce qui lui donne son blanc cru. Pour l’anecdote, il s’agit de la même pierre que l’Arc de Triomphe et que celle de la Gare Saint-Lazare.
Décoration

- Mosaïque absidale de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, extrémité nord, © Didier B.
La décoration de la basilique du Sacré-Cœur possède une mosaïque absidale ornant l’extrémité nord de la nef centrale. Cette pièce d’inspiration néo-byzantine s’étend sur environ 475 m², l’une des plus vastes du monde d’après l’administration du bâtiment8Site internet de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, https://www.sacre-coeur-montmartre.com/decouvrir/histoire-et-patrimoine/patrimoine-et-art-sacre/la-mosaique-du-choeur/. Ces personnes n’ont ainsi pas encore eu l’occasion de se rendre dans la basilique Saint-Marc de Venise ou à Saint-Apollinaire de Ravenne.
Au centre de cette mosaïque est figuré le Christ, bras ouverts, portant le Sacré-Cœur doré sur son torse. Il est relié par un faisceau à une colombe symbolisant quant-à-elle le Saint-Esprit. Ces deux entités sont à leur tour rattachées à une représentation assez inhabituelle de Dieu, figuré ici en vieil homme couronné positionné tel un Pantocrator.
Car ce dernier est ordinairement peu représenté aussi explicitement dans l’art religieux. Il tient un globe crucifère dans sa main gauche et effectue le signe de la bénédiction de la main droite. Cet insigne divin symbolise ici l’universalité et la domination de la foi chrétienne sur Terre (chers amis je vous en prie, n’y voyez aucune opinion personnelle).
Ces trois figures forment ensemble une affirmation de la Sainte-Trinité nicéenne9BOULARAND Éphrem, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, éditions Letouzey & Ané, 1972, p. 81., formulée par l’Église comme étant un Dieu unique répandu autant et également entre trois entités : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Entourant ces figurations, nous pouvons observer une représentation de l’Église terrestre et de l’Église céleste, deux institutions destinées à encadrer l’ensemble des peuples vivant sur Terre, représenté sous des traits ethniques distinctifs dans le registre inférieur.
Ex-voto de pierres immaculées
Il faut savoir que l’appellation de « basilique », elle est réservée aux églises qui accueille un chemin de pèlerinage. Cela est décidé par le pape en personne et ce pèlerinage est souvent en lien avec les reliques que l’édifice abrite.
Les reliques accueillies par la basilique votive du Sacré-Cœur de Paris sont, entre-autres, celles de sainte Geneviève, de sainte Clotilde et de saint Denis. Ce dernier est connu pour avoir été le premier évêque de Paris entre le Iᵉʳ et le IIᵉ siècle. Envoyé par le pape pour évangéliser les populations parisiennes, il sera décapité sur la colline où se trouve actuellement Montmartre. Selon la légende, il se releva après avoir eu la tête coupée pour marcher jusqu’à l’endroit où se trouve l’actuelle basilique Saint-Denis10LESOURD Paul, La butte sacrée, Montmartre des origines au XXᵉ siècle, Paris, éditions Spes, 1937, p. 21 – 22..
La particularité de la basilique du Sacré-Cœur est que l’édifice accueille un relai de prière tenu jour et nuit depuis 1885. Cette prière en continu est d’ailleurs symbolisée par la grande lanterne qui brille toutes les nuits au sommet du dôme central de l’édifice.
Autre information pour rayonner (un peu moins) en société : la cloche principale de la basilique du Sacré-Cœur pèse quelques 19 tonnes, ce qui en fait la plus grosse cloche à balance de France.

- Vue générale de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, Paris.
Bibliographie
BENOIST Jacques, Le Sacré-Cœur de Montmartre, Paris, éditions de l’Atelier, 1992 (https://excerpts.numilog.com/books/9782402603348.pdf).
BOULARAND Éphrem, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, éditions Letouzey & Ané, 1972.
KRUMEICH Gerd (dir.), Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, éditions Albin Michel, 1993.
LAROCHE Claude (dir.), Paul Abadie, architecte. 1812-1884, Paris, éd. de la R.M.N., 1988.
LESOURD Paul, La butte sacrée, Montmartre des origines au XXᵉ siècle, Paris, éditions Spes, 1937.
LOYER François, « Le Sacré-Cœur de Montmartre. L’Église souffrante et l’architecture triomphante », Le Débat, Paris, éditions Gallimard, 1987, vol. 2, n° 44, pp. 144 – 155 (https://www.cairn.info/revue-le-debat-1987-2-page-144.htm&wt.src=pdf).
MILZA Pierre, « L’année terrible », La guerre franco-prussienne (septembre 1870 – mars 1871). Paris, éditions Perrin, 2009.
NÉLIAS Thierry, L’humiliante défaite : 1870, la France à l’épreuve de la guerre, Paris, La librairie Vuibert, 2020.
TAKEDA Yuta, L’État républicain et la Banque de France après la Guerre franco-prussienne (1870-1897) : fonctions de la banque d’émission dans la société économique moderne, Thèse de doctorat sous la direction d’Olivier Feiertag, 2018, (https://theses.hal.science/tel-01976646).
Sitographie
LAROCHE Claude, « Les enjeux multiples de l’architecture religieuse du second XIXᵉ siècle en France : un essai de litanies », In Situ, [En ligne], 11 | 2009, http://journals.openedition.org/insitu/4422.
RICHARD-BAZIRE Anne, « Le concours pour la construction du Sacré-Cœur de Montmartre, une désillusion », Livraisons d’histoire de l’architecture, [En ligne], 36 | 2018, pp. 31 – 49, https://journals.openedition.org/lha/1021.
- 1Loris Giuliano & GIMS en balade, https://youtu.be/8TGqWvrf84g?si=QupSWIvyFPSXbRR6&t=984.
- 2TAKEDA Yuta, L’État républicain et la Banque de France après la Guerre franco-prussienne (1870-1897) : fonctions de la banque d’émission dans la société économique moderne, Thèse de doctorat sous la direction d’Olivier Feiertag, 2018, https://theses.hal.science/tel-01976646.
- 3BENOIST Jacques, Le Sacré-Cœur de Montmartre, Paris, éditions de l’Atelier, 1992.
- 4RICHARD Jean, Saint Louis, Paris, éditions Fayard, 1983.
- 5KRUMEICH Gerd (dir.), Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, éditions Albin Michel, 1993.
- 6LOYER François, « Le Sacré-Cœur de Montmartre. L’Église souffrante et l’architecture triomphante », Le Débat, Paris, éditions Gallimard, 1987, vol. 2, n° 44, pp. 144 – 155.
- 7RICHARD-BAZIRE Anne, « Le concours pour la construction du Sacré-Cœur de Montmartre, une désillusion », Livraisons d’histoire de l’architecture, [En ligne], pp. 31-49, https://journals.openedition.org/lha/1021.
- 8Site internet de la basilique du Sacré-Cœur de Paris, https://www.sacre-coeur-montmartre.com/decouvrir/histoire-et-patrimoine/patrimoine-et-art-sacre/la-mosaique-du-choeur/
- 9BOULARAND Éphrem, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, éditions Letouzey & Ané, 1972, p. 81.
- 10LESOURD Paul, La butte sacrée, Montmartre des origines au XXᵉ siècle, Paris, éditions Spes, 1937, p. 21 – 22.
